lundi 21 avril 2014

Impressions de Venise (4) - Henri Ferrand - sept 1910

Photographe Carlo Nayo - XIXe 
Le Lido, le beau Lido, l'île d'amour des Vénitiennes ! Faut-il croire que c'était, comme tant d'autres choses, un rêve, un mythe des poètes qui bercent l'humanité de leurs consolantes fictions, ou bien que sa beauté d'antan lui a été ravie par le progrès. A cette île longue et étroite qui forme comme un cordon littoral protecteur de Venise,  on se rend maintenant en quelques minutes et pour dix centimes par le bateau à vapeur. Au débarcadère, on retrouve ce cauchemar dont on était affranchi à Venise, le tramway électrique. Entre deux immenses hôtels d'une vulgarité désespérante, une large avenue avec de vastes trottoirs et des poteaux, de hideux poteaux, soutenant les fils, traverse en droite ligne l'étroitesse de l'île et vous amène à la face extérieure, à la plage. Là, deux à trois mille cabines, toutes exactement anguleuses et semblables, s'alignent sur trois ou quatre rangs avec une rectitude désespérante. La plage de sable très fin et doux au pied, s'allonge vers le Midi. Elle est imperturbablement accompagnée d'une chaussée droite, blanche, aveuglante, le long de laquelle s'alignent les poteaux du tramway persécuteur, entremêlés de manches à balais fraîchement plantés qui seront peut-être un jour une allée de beaux arbres, si Dieu leur prête vie. Et au bout de cette géométrie, une construction cyclopéenne et laide, l'Excelsior hôtel, qui encombre, qui salit de ses cinq étages le ciel et le paysage ! Au milieu de tout cela une abondante floraison de rastaquouères, revêtus des horribles modes actuelles, les ulsters verdâtres et les immenses chapeaux rouges. Le tramway et le bateau à vapeur servent du moins à quelque chose, à fuir au plus vite le Lido dépoétisé et désenchanteur, et il reste encore une sensation compensatrice, c'est au retour, le délicieux panorama de Venise, vue de la lagune.

2 commentaires:

  1. Toujours drôles ces réflexions d'autrefois. On y trouve souvent aussi des remarques qui sont toujours vraies et qui prouvent que l'époque moderne engendrait déjà une nostalgie.

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  2. Merci pour la visite ; bonne journée ; a presto !

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