vendredi 4 avril 2014

Impressions de Venise (1) - Henri Ferrand - sept 1910

Photo Carlo Nayo - XIXe 

La nuit était venue quand nous sortions de la gare ; sous les feux de la lumière électrique, avec les fanaux des bateaux à vapeur, les lanternes des gondoles qui se croisent pareilles à des lucioles, le spectacle du Grand Canal était féerique.La beauté s'éclipsa quand il fallut prendre un sombre petit canal pour arriver à l'hôtel, et l'un des pires ennuis de Venise, l'odeur désagréable de l'eau croupie, vint péniblement affecter nos narines. Mais une heure après sur la place Saint-Marc nous savourions l'inépuisable enchantement de ce climat merveilleux.
La poésie et la paresse s'accommodent beaucoup plus volontiers de l'usage des gondoles, mais pour la liberté, rien ne vaut la marche à pied. Et à Venise, bonheur dont nous n'avons plus d'idée dans notre vie actuelle, on n'a pas besoin de prendre garde aux voitures.
(En parlant des gondoliers) : On dirait un peuple à part, une race conquérante et dominatrice. La fière allure de ces gondoliers, l'aisance de leurs mouvements, la noblesse de leurs attitudes semblent descendre en droite ligne de ces héros condottiere dont le Coleone est le superbe type. Le peuple ordinaire de Venise, l'ouvrier, le marchand, le citoyen, n'a pas cet aspect et beaucoup de ses représentants ont le faciès malingre et souffreteux qui concorde avec l'habitat au fond de ces étroites fissures, ruelles ou canaux où le soleil ne pénètre pas, tandis que la vie au grand air et les émanations salines ont fait les muscles des gondoliers.
Peut-être le hasard me servit assez mal ; mais dans mes pérégrinations je ne pus rien voir qui me rappelât ces triomphantes beautés qu'ont immortalisées les pinceaux de la belle époque : les toisons rutilantes du Titien ont disparu et toutes les femmes autochtones circulent dans les rues en cheveux bruns assez abondants, relevés sans parure sur le haut de la tête, avec un long châle noir assez gracieusement porté mais peu flatteur.

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