jeudi 24 avril 2014

Impressions de Venise (5)-Henri Ferrand-septembre 1910

Photo Carlo Nayo - XIXe

En parlant de l'exposition internationale de peinture aux Giardini :

Les bâtiments permanents de l'Exposition sont bien placés, pas trop grands, suffisamment bien conçus pour ne rien déparer. Il y a un pavillon belge, un pavillon britannique, un pavillon allemand bavarois, un pavillon hongrois et le grand pavillon italien Pro Arte. Exception faite pour le pavillon britannique où la peinture généralement mélancolique est raisonnable et bâtie sur dessin, les kilomètres de toile peinte qui se déroulent sous ces abris nous font une impression désastreuse. Voir ce modernisme échevelé quand on sort de contempler les chefs-d'oeuvre de l'Académie, du Palais des Doges ou des églises de Venise, fait l'effet d'une profanation. J'aurais mieux fait de me contenter des jardins. De ce beau pavillon Pro Arte, je n'ai conservé qu'un souvenir agréable : c'est celui de la galerie postérieure qui donnait sur la mer, avec la vision lointaine de Murano.
Et c'est ainsi que Venise, la belle Venise, nous inspirait parfois des réflexions philosophiques. Les goûts changent avec le temps, l'esprit des peuples se modifie au cours des siècles : c'est une évolution que l'on appelle le progrès, mais qui n'est pas toujours un perfectionnement. A leur époque, certes, on prisait les œuvres si nombreuses et si abondantes du Titien, du Tintoret, du Véronèse, etc. ; mais on n'avait cependant pas pour elles le culte religieux et prodigue que nous professons aujourd'hui. Qui sait si dans quelques siècles ces produits de l’impressionnisme qui nous révoltent à présent ne seront pas l'objet de la vénération des foules futures ? L'abus des lumières artificielles, la fatigue des yeux résultant de la vitesse de translation des automobiles et bientôt des aéroplanes, d'autres facteurs imprévus encore, n'en arriveront-ils pas à déformer la vision de nos arrière-petits-fils au point de leur faire trouver charmantes ces masses imprécises et heurtées de coloris discordants qui constituent les neuf dixièmes de la peinture moderne ? Ces hurleurs sont-ils des précurseurs ? et en somme le sens de la beauté ne se résume-t-il pas en une construction de la rétine ?

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