Carlo Goldoni 1707-1793 |
"...Cette année-là, pour l'opéra de l'Ascension, le compositeur de la musique était l'abbé Antonio Vivaldi, dit il Prête Rosso, en raison de la couleur de ses cheveux, et appelé à tort par certains Rossi, croyant que c'était son nom de famille. Ce très célèbre joueur de violon, cet homme célèbre pour ses Sonates, surtout pour celles intitulées les Quattro stagioni, composait aussi des opéras ; et malgré ce que disaient les bons connaisseurs - qu'il était faible dans le contrepoint et n'écrivait pas bien les basses-, il faisait chanter très bien les parties, et le plus souvent ses opéras eurent du succès... Il était très important pour Vivaldi que le poète soit en mesure de réviser et d'impasticciare le drame à son goût, afin d'y intégrer, tant bien que mal, les arias que son élève avait chantées précédemment. Etant chargé de cela, je me présentai donc au compositeur à la demande du Chevalier mon patron. Celui-ci me reçut assez froidement. Il me prenait pour un débutant, et il ne se trompait pas. Comme il ne me trouvait pas très compétent en la science d'estropier les drames, il avait, cela se voyait, très envie de me renvoyer. Il était informé toutefois du succès qu'avait connu mon Bellisario ; il n'ignorait pas non plus les applaudissements que mes intermèdes avaient remportés ; mais impasticciare un drame était une chose qu'il considérait comme difficile, et qui méritait un talent particulier...Mais ma situation, ainsi que la gêne de devoir me présenter face à Son Excellence Grimani, sans parler de mon espoir d'obtenir la direction du grandiose théâtre San Giovanni Grisostomo me firent faire bonne figure et je priai presque le Prêtre roux de me mettre à l'épreuve. Il me regarda avec un sourire compatissant, prit en main un livret :"Voici le drame qu'il faut réviser : la Griselda d'Apostolo Zeno!"...
Il retourna à sa table, et se mit à réciter le bréviaire. Je lus alors attentivement la scène ; je me concentrai sur le sentiment contenu dans l'aria cantabile, et en fis une d'action, de passion et de mouvement. Je lui apportai et lui fis voir. Il tenait son bréviaire de la main droite et, de la gauche, ma feuille ; il lut lentement. Lorsqu'il eut fini de lire, il jeta son bréviaire, se leva, m'embrassa...Je suis dès lors devenu son Cher, son Poète, son Confident, et il ne m'a plus lâché..."
©Antonio VIVALDI - Sylvie MAMY
©Antonio VIVALDI - Sylvie MAMY
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